Ce qui reste en moi : L’histoire de ce livre et la blessure qui l’a fait naître
- Feroz Anka
- il y a 3 jours
- 7 min de lecture
Je n’ai pas commencé à écrire ce livre avec une idée, mais avec une douleur.
C’est pourquoi l’histoire de Ce qui reste en moi ne commence pas par une tasse de café posée sur la table, mais par cette douleur familière logée en plein milieu de la cage thoracique.
C’était la nuit.
L’heure n’avait pas vraiment d’importance ; passé un certain moment, on ne regarde plus l’horloge mais sa solitude pour savoir l’heure.
Dans la maison, tout le monde s’était tu, mais la foule en moi ne se taisait pas.
Et à ce moment-là, les mots qui tournaient en moi depuis des années se sont rassemblés en une seule phrase :
« Que cela ne reste plus en moi. »
Je n’ai pas prononcé cette phrase à voix haute.
J’ai simplement pris le stylo.
Et pour être honnête : je n’ai pas commencé à écrire comme une « écrivaine », mais comme quelqu’un de vaincu.
La blessure dont ce livre est né : Ces cassures auxquelles tu ne sais pas donner de nom
Ce que nous appelons une « rupture émotionnelle » n’est, le plus souvent, pas un seul événement.
Quelqu’un part, quelqu’un se tait, quelqu’un trahit, quelqu’un arrive en retard…
Mais la véritable cassure a lieu là où tu ne peux parler d’aucune de ces choses.
Pour moi aussi, c’était ainsi.
La blessure de ce livre n’est pas née d’une grande tragédie dramatique digne d’un écran de cinéma.
Elle vient d’un endroit beaucoup plus silencieux.
D’un pardon que je n’ai jamais su demander à temps, d’une promesse que je n’ai pas pu tenir, de quelques scènes où je n’ai pas su me défendre et, surtout, des moments où je me suis abandonnée moi-même.
Parfois, tu ne perds pas une autre personne ; tu te perds toi.
Avec le recul, tu vois que ce qui « reste en moi », ce n’est pas ce que je n’ai pas pu dire aux autres, mais ce que je n’ai jamais réussi à me dire.
Ce livre n’est pas un projet littéraire ; c’est un aveu tardif, écrit depuis l’endroit où j’ai voulu m’enterrer.
Avant même de prendre la route, j’étais déjà en chemin...
Je l’ai compris plus tard : ce livre n’a pas commencé la nuit où je me suis assise pour écrire.
Il faisait partie d’un voyage intérieur commencé bien plus tôt.
Avant d’être contraint de « faire face à son monde intérieur », on passe longtemps à essayer de fuir.
J’ai fait la même chose.
Je me suis réfugiée dans le travail, dans l’occupation, dans les jeux mentaux, dans la phrase « Laisse tomber, ça passera ».
Ça n’est pas passé.
J’ai compris bien plus tard que ce qui ne passe pas, ce n’est pas la douleur elle-même, mais la douleur qu’on ne peut pas dire.
Ce qui reste en moi est né exactement là :
Un soir où j’ai cessé de fuir, où je me suis assise sur la chaise en disant : « Aujourd’hui, je ne vais pas me cacher de moi-même. »
Ce jour-là, j’ai été au moins aussi honnête avec moi-même :
« Ce ne sera pas un texte de développement personnel.
Ce ne sera pas l’histoire de réussite d’une vie bien rangée.
Ce sera le dossier ouvert d’un monde intérieur qui n’a pas été remis en ordre. »
C’est pourquoi Ce qui reste en moi n’est pas pour moi un « guide pour le lecteur » ; c’est plutôt mon dossier intime posé sur une table, à moitié lu, avec des traces de larmes sur les bords.
Écrire, c’était la première audience du procès que j’intentais contre moi-même...
En moi existait un tribunal invisible ; j’étais à la fois la procureure, l’accusée et la juge.
Celle qui demandait : « Pourquoi es-tu restée silencieuse ? », c’était moi, et celle qui murmurait : « J’ai eu peur », c’était encore moi.
Celle qui reprochait : « Les années ont passé, es-tu toujours là ? », c’était moi, et celle qui n’arrivait pas à dire : « Oui, je suis toujours là », c’était encore moi.
À un moment donné, j’ai compris que ce procès intérieur n’aboutirait jamais à un verdict officiel. Car lorsque l’on essaie à la fois de se condamner et de se pardonner, le dossier ne se ferme jamais.
Alors j’ai tenté autre chose : j’ai transformé le dossier en littérature.
J’ai dit : « Que Ce qui reste en moi devienne un livre. »
Que les phrases que je porte en moi ne soient plus seulement des preuves, mais aussi des témoignages.
C’est pourquoi ces textes ne sont pas des « conseils promettant la guérison », mais plutôt des lignes qui disent :
« Regarde, moi aussi j’y étais. Tu n’es pas seul·e ; même ta honte a une sœur. »
La première phrase : La fêlure qui brise la glace du silence.
Je ne répéterai pas ici la première phrase que j’ai écrite cette nuit-là.
Parce qu’elle est toujours en moi, et je veux qu’elle reste ce petit secret entre le lecteur, la lectrice et moi.
Mais je peux dire ceci : ma main ne tremblait pas en l’écrivant.
Ce qui tremblait, c’était le silence qui commençait là où la phrase se terminait.
Il y avait de l’encre sur le papier ; en moi, un deuil recouvert depuis des années.
Ce que j’ai écrit n’était pas une grande trouvaille littéraire, mais pour moi cela signifiait :
Je n’étais plus aussi lourde que mon silence.
Je n’avais plus besoin d’avaler mes mots.
Se souvenir n’était plus obligé de seulement faire mal.
Pour un regard extérieur, c’était peut-être une phrase d’ouverture ordinaire.
Mais dans ma cage thoracique, chaque lettre sortant de la pointe du stylo devenait la trace d’un adieu, d’une confrontation tardive, du courage de enfin me toucher moi-même.
Faire face à son monde intérieur : regarder la fissure, pas le miroir...
L’expression « faire face à son monde intérieur » sonne romantique.
En pratique, ce n’est pas si esthétique.
En me confrontant à moi-même, je n’ai pas écrit de belles phrases, je ne me suis pas sentie comme une sage illuminée.
La plupart du temps, je me jugeais : « Tu es si faible que ça ? »
Faire face, ce n’était pas regarder le miroir, c’était accepter la fissure que je ne voulais même pas voir dans ce miroir.
En signant Ce qui reste en moi, je suis passée par un endroit qui disait plus ou moins ceci :
« Quelqu’un qui lira ces lignes pensera que je suis faible.
Il me trouvera trop émotive.
Il dira : “Autant de drame, c’est trop.” »
Puis j’ai compris que j’avais déjà passé une partie de ma vie à me renier pour paraître « forte ».
Si je dois encore retenir un livre pour protéger l’image que les autres ont de moi, pourquoi écrire ?
À ce moment-là, quelque chose de plus profond que le « métier d’auteure » a commencé : ce que nous appelons le voyage intérieur.
La clé de ce voyage était la suivante :
Je n’ai pas cherché à m’expliquer, ni à me justifier ; j’ai simplement choisi de dire : « C’est là que j’ai eu mal. »
Et parfois, la phrase qui change toute une vie est justement aussi courte que cela.
J’ai écrit cet ouvrage pour cet ancien moi qui « restait en moi ».
Dans ma tête, il n’y avait qu’une seule personne : un ancien « moi ».
Celle qui avait compris certaines choses trop tard, s’était excusée trop tard, était partie trop tard, arrivée trop tard : moi.
En devenant un livre, Ce qui reste en moi faisait en réalité ceci pour moi :
« Regarde, je t’entends.
Aussi ridicule, faible ou excessive que je te trouve, toi aussi tu as une histoire.
Et je ne veux plus cacher cette histoire loin de toi. »
Plus tard, j’ai compris que cet « ancien moi » était en réalité assis dans la même pièce que de nombreuses personnes que je ne rencontrerai jamais.
Des personnes qui n’ont pas pu s’exprimer, qui avaient peur d’être mal comprises, coincées dans le rôle de celle ou celui qui « gère », essayant de paraître fort·e tout en s’effondrant à l’intérieur…
Quand j’ai terminé le livre, j’ai ressenti ceci :
« J’ai écrit ces lignes pour quelqu’un, mais je ne sais pas pour qui.
Peut-être pour toi.
Peut-être pour quelqu’un que je ne rencontrerai jamais. »
Ce qui reste en moi n’est pas pour moi un point d’arrivée.
C’est plutôt une lettre arrivée en retard.
Dans cette lettre, je ne me suis pas justifiée, je n’ai accusé personne, je n’ai pas prétendu avoir compris la vie. Au fil des jours, des années, des relations, des silences et des pertes, j’ai simplement voulu voir, une fois au moins, ce qui s’était accumulé en moi se tenir à l’extérieur, sur la page.
Car si l’on veut « faire face à son monde intérieur », on doit d’abord devenir transparent envers soi-même.
Parfois, on le fait en thérapie, parfois dans une conversation avec un ami, parfois dans une prière adressée à Dieu, parfois dans les pages d’un livre.
Cette fois, mon chemin a pris la forme d’un livre.
Peut-être que cet ouvrage est une excuse restée en toi ; un « ne pars pas » que tu n’as jamais prononcé ; un « tu m’as blessé·e » que tu ne t’es jamais avoué honnêtement ; ce voyage intérieur que tu repousses depuis des années.
La première étincelle de ce livre a été un petit aveu né en moi :
« Je suis quelqu’un qui est arrivé en retard à soi-même. »
Si toi aussi, quelque part en toi, tu portes encore une phrase, un sentiment, un « si seulement » que tu n’as jamais laissé sortir, sache que ces pages ne sont pas seulement les miennes.
La vraie question de ce livre est la suivante :
Qu’est-ce qui reste en toi ?
Et quand oseras-tu enfin te dire : « Que cela ne reste plus en moi » ?




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