Se perdre sur le chemin intérieur : Crise existentielle ou éveil spirituel ?
- Feroz Anka
- il y a 4 jours
- 7 min de lecture
Parfois, on ne se contente pas de demander : « Où va cette vie ? »
À un moment, une question plus dangereuse arrive :
« Où me suis-je perdu ? »
Ce que nous appelons le chemin intérieur paraît romantique vu de l’extérieur.
Lumière de bougies, phrases-slogans, récits d’éveil spirituel, aphorismes sur le fait de « se trouver soi-même »…
En réalité, il ne commence presque jamais ainsi.
En réalité, il commence souvent par une perte.
Un poids auquel tu ne sais pas donner de nom.
Des phrases qui ont perdu leur sens.
Un état où tu ne te sens appartenir à aucun endroit.
Ce que tu vis est-il une crise existentielle, ou bien les premiers signes de cette cassure que tu appelleras plus tard « éveil spirituel » ?
Et le chemin que j’emprunte dans Les Lignes du Vide me murmure que ces deux réalités ne sont pas si éloignées l’une de l’autre.
Le chemin intérieur commence souvent comme un effondrement.
Vient une période où plus rien ne fonctionne comme avant.
Tu vas au même travail, tu parles aux mêmes personnes, tu vis dans la même ville…
Mais quelque chose s’est déplacé à l’intérieur.
Les significations qui te portaient autrefois n’arrivent plus à te soutenir.
La question « Pourquoi est-ce que je fais ça ? » n’est plus une petite curiosité qui traverse ta tête un jour ; elle pèse au milieu de ta poitrine comme une lourde pierre.
Le chemin intérieur commence souvent ainsi :
De l’extérieur, « tout est normal », mais à l’intérieur, rien ne va.
Parfois on appelle cela dépression.
Parfois crise de sens.
Parfois tu dis : « Ma vie part en morceaux », parfois : « J’ai perdu mon âme. »
J’ai écrit Les Lignes du Vide exactement à un tel seuil.
Alors que ma vie donnait de l’extérieur l’image « tout va bien », quelque chose en moi avait déjà appuyé sur le bouton annuler.
Crise existentielle : la dernière résistance de l’ancien moi.
Ce que nous appelons crise existentielle n’est pas seulement un « coup de blues ».
Une question plus profonde brûle en toi :
« Quelle est la véritable signification de cette vie ?
Et moi, où suis-je dans cette pièce ? »
Les choses auxquelles tu croyais par cœur commencent soudain à être remises en question.
Tes relations, ton travail, ta foi, ta réussite, même tes concepts de bien et de mal…
Tu te sens rejeté au bord de ta propre existence.
Comme si une pièce se jouait sur scène ; ton nom est écrit sur l’affiche, mais tu es assis en coulisse, incapable de te rappeler ce que tu joues et pourquoi tu le joues.
La crise existentielle murmure souvent ceci :
« Je ne peux pas continuer comme ça. Mais je ne sais pas non plus comment continuer. »
Cet espace entre deux est celui qui nous éprouve le plus, nous polit le plus et nous fait le plus grandir.
Les récits d’éveil spirituel racontent généralement seulement l’après :
Purification, paix, calme, abandon…
Mais d’abord, quelque chose doit s’effondrer.
Et vu de l’extérieur, cet effondrement ressemble souvent à un simple « craquage ».
Éveil spirituel : non pas une lumière, mais la nuit qui vient d’abord.
Lorsque nous entendons « éveil spirituel », notre esprit produit en général des images baignées de lumière.
Pourtant, dans mon expérience, l’éveil commence par une pièce sombre.
Certaines des phrases sur lesquelles tu as bâti toute ta vie se fissurent :
« Je suis comme ça, c’est tout. »
« La vie doit être comme ça. »
« Sans ça, je ne peux pas vivre. »
Alors que ces phrases s’écroulent, un sentiment grandit plus que tout autre en toi :
« Alors, qui suis-je ? »
Cette question est le centre commun à la fois de la crise existentielle et de l’éveil spirituel.
Parfois, tu es réellement en pleine dépression ; ton énergie s’est retirée, tu t’es mis en retrait de la vie, tu n’as envie de rien.
Parfois aussi, les mêmes symptômes sont le signe avant-coureur d’une quête spirituelle plus profonde.
L’une des choses que j’ai essayé de dire dans Les Lignes du Vide était la suivante :
Toutes les périodes sombres n’ont pas vocation à devenir un éveil.
Mais la plupart des éveils ne viennent pas sans obscurité.
Tu perds quelque chose.
Une croyance, un rôle, une personne, une identité…
De l’extérieur, ce n’est qu’une « perte ».
De l’intérieur, parfois, c’est comme ceci :
On t’enlève lentement de ton ancien corps.
Crise de sens : l’ancien sens est mort, le nouveau n’est pas encore né.
Une crise de sens, c’est comme être coincé entre deux mondes.
Ton ancienne carte de significations ne fonctionne plus.
L’équation « bon travail, bonne relation, un certain ordre = bonne vie » ne te suffit plus.
Mais tu n’as pas de nouvelle équation à mettre à la place.
Entre les deux, tu te retrouves face à l’une de tes plus grandes peurs :
Le vide.
Le vide ressemble souvent au « néant ».
Comme si tout avait été vain, comme si plus rien n’avait de sens.
Pourtant, certains vides viennent précisément pour libérer la place occupée par les anciens sens.
Un sens nouveau veut germer dans ce vide.
En écrivant Les Lignes du Vide, j’ai essayé de ne plus voir ce vide uniquement comme une « destruction ».
Peut-être était-ce une invitation :
« Bienvenue aux funérailles de tes anciens sens.
Es-tu prêt maintenant à chercher des significations qui t’appartiennent vraiment ? »
Le chemin intérieur commence exactement là.
Au moment où tu acceptes de laisser les significations choisies pour toi par d’autres, pour chercher ton propre sens, ta propre voix, ton propre chemin.
Quête spirituelle ou fuite devant la douleur ?
Ici se trouve une zone dangereuse.
Au cœur de la crise existentielle, on supporte souvent mal la douleur.
Et cela est profondément humain.
C’est précisément à ce moment-là que certains « chemins spirituels » interviennent.
Les mots sont beaux, les phrases sont douces, la promesse est très séduisante :
Ils proposent de recouvrir ta douleur d’une mince couche de lumière.
« Tout est déjà parfait. »
« La souffrance n’est qu’une illusion. »
« Élève simplement ta conscience et le reste suivra. »
Pourtant, parfois, la douleur n’est pas quelque chose qu’il faudrait simplement « contourner ».
Parfois, traverser cette douleur, c’est l’éveil lui-même.
Si ta quête spirituelle devient une fuite devant la douleur, tu ne fais que mettre un nouveau masque.
Passer un vernis spirituel brillant sur ta dépression ne la guérit pas.
Cela la rend seulement invisible.
Pour moi, l’éveil n’a pas commencé par la fuite, mais par la capacité de regarder la douleur honnêtement.
« Oui, en ce moment je me sens très mal.
Oui, j’ai l’impression que tout s’écroule.
Oui, je ne sais pas ce que je fais. »
Là où j’ai pu prononcer ces phrases, quelque chose de nouveau a commencé à germer en silence:
Un état d’authenticité envers moi-même.
Le chemin intérieur : une route à parcourir non pas avec dureté envers toi-même, mais avec compassion.
Lorsque tu t’engages sur le chemin intérieur, ton mental peut parfois être plus cruel que toi.
« Si tu remets tout en question, c’est que tu es faible. »
« Si tu n’en sors pas, c’est que tu n’as pas évolué. »
« Si tu souffres autant, c’est que tu n’es pas assez conscient. »
En réalité, poser des questions est un acte de courage.
Te confronter à toi-même est un acte de courage.
Même reconnaître que tu traverses une crise existentielle, c’est franchir un seuil que la plupart des gens n’osent jamais approcher.
Le chemin intérieur progresse non pas en te jugeant davantage, mais en te regardant avec plus d’honnêteté et de douceur.
Parfois, sur ce chemin, tu peux aussi avoir besoin d’un soutien professionnel:
Un thérapeute, un conseiller, un guide en qui tu as confiance…
Cela ne signifie pas que tu es « spirituellement faible ».
Au contraire, cela signifie que tu es assez humain pour dire : « Je n’ai pas besoin de porter ce fardeau tout seul. »
Crise existentielle ou éveil spirituel ?
Peut-être les deux, peut-être les deux à la fois.
Je ne vois plus cette séparation comme si tranchée.
La crise existentielle est parfois le cri de ton âme qui dit : « Je ne peux plus continuer ainsi. »
L’éveil spirituel est la naissance d’une nouvelle voix dans le long silence qui suit ce cri.
La crise t’éloigne de ton ancien moi.
L’éveil t’approche du moi que tu ne connais pas encore.
Ce peuvent être deux portes différentes d’un même couloir.
Laquelle tu as franchie, tu le comprends souvent seulement en te retournant.
Les Lignes du Vide a été pour moi un texte écrit précisément dans ce couloir.
Je n’ai voulu ni raconter seulement l’obscurité, ni inventer une fausse histoire de lumière.
J’ai seulement voulu dire ceci :
« Si tu te sens perdu, il se peut que ton chemin intérieur ait déjà commencé.
Ce mal-être, cette crise de sens ont peut-être une invitation:
L’invitation à te regarder de plus près. »
Se sentir perdu n’est pas toujours une mauvaise nouvelle.
Je n’écris pas ce texte pour dire : « Dans chaque crise se cache forcément un merveilleux éveil. »
La vie ne rentre pas dans des formules aussi simples.
Mais je n’hésite pas à dire ceci :
Le chemin intérieur commence souvent exactement là où tu crois « aller dans la mauvaise direction ».
Ce que tu appelles crise existentielle est parfois la façon qu’a ton âme de te pousser.
La quête spirituelle commence parfois en silence au moment où tu dis : « Je ne crois plus en rien. »
Si, depuis quelque temps, tu ne te sens pleinement à ta place nulle part, si tu trouves que ta vie a perdu son sens, si, plusieurs fois par jour, tu te retrouves accroché à la question « Qu’est-ce que je suis en train de faire ? »…
Ce n’est peut-être pas seulement un effondrement.
C’est peut-être aussi le grincement de la porte qui t’appelle vers un « toi » que tu n’as encore jamais rencontré.
Le chemin intérieur ne te paraîtra peut-être pas brillant vu de l’extérieur.
Mais un jour, en regardant en arrière, tu diras peut-être de la période que tu croyais la plus sombre :
« Ce n’est pas là que je me suis perdu.
C’est là que, pour la première fois, je suis parti en direction de moi-même. »






Commentaires